Mi-2013 aéroport de Libreville, je me dirige vers le parking, un homme passe devant moi et a sur le talon une tâche noire. Je me fige, je l’observe partir et je décide de le suivre. Il s’assoit avec des amis et je l’interpelle pour lui demander si sa tâche sur le talon est qu’une tâche ou une plaie, il regarde la nettoie et me dit s’être juste taché dans sa voiture. Je suis soulagée. Il me remercie longuement parce qu’il a compris à quoi j’ai pensé: un mélanome! Ce cancer de la peau qui a emporté mon papa 9 mois plus tôt.
27 Octobre 2012, je me réveille après une nuit agitée à Douala. J’y suis depuis 2 jours avec ma fille de 1 an. Nous sommes venues fêter la Tabaski chez mon beau frère. Mon mari devait nous rejoindre mais a raté le vol 3 fois (retard, annulation) , ma belle soeur aussi a raté son vol et son avion à eu un retard de 2 jours. Tout cela aurait dû m’alerter sur la particularité de cette Tabaski. Mais rien ne vous prépare à une telle nouvelle. Absolument rien!
Il est donc 8h du matin et quand je descend je trouve un frère de coeur (aussi ami a mon beau frère) avec son épouse qui sont déjà là. Et je me dis « quelle belle amitié », ils viennent si tôt pour les aider à achever le mouton de la Tabaski! Je salue je m’assois et là je comprends que ce n’est pas le mouton qu’on va achever mais moi. Je n’ai jamais autant voulu être sourde, jamais autant souhaité, je l’avoue, la mort d’une autre personne. Et mon beau frère se lance avec beaucoup de diplomatie: « papa nous a malheureusement quitté cette nuit ». Je m’effondre sur ma belle soeur. Je pleure mais je me ressaisis parce que le plus important est de rejoindre ma famille à Ouagadougou pour l’enterrement. Je suis sonnée mais je comprends, même si je n’accepte pas la réalité. Les douleurs de l’expatriation…
La veille, jour de Tabaski, le 26 Octobre 2012 vers 16h j’appelle mon papa pour lui souhaiter bonne fête. Ayant tenté toute la matinée sans succès de lui parler. Ma mère m’affirmait qu’il allait bien mais qu’il se reposait, bizarre. Je connais ce scénario, ma grand mère est décédée un jour de fête de Ramadan et on m’a aussi donné les mêmes réponses. Mais là c’est mon père, il ne peut pas nous faire ça… pas en ce jour de Tabaski, il tenait tellement à cette fête en particulier et tout programme qui pouvait l’éloigner de chez lui pour ce jour avait été annulé. Il y’a des signes que nous refusons de voir…
Il décroche finalement lui même le soir et me demande comment je vais , on discute , il a l’air un peu fatigué mais il me béni et passe le téléphone à ma mère. C’est le dernier contact que j’ai eu avec lui. Je suis là dernière personne à lui avoir parlé au téléphone. Si je savais… Je l’ai vu pour la dernière fois le 02 Octobre 2012. Si je savais… J’appelle mes soeurs une à une et personne ne décroche ne sachant quoi me répondre. Une d’entre elle finit par me répondre et me dit que tout va bien et que papa est juste fatigué à cause de la fête et du bruit. Mais je ne suis pas sereine.
Apres l’annonce je pense tout de suite à ma mère et à toute la famille. Je les appelle et ils m’attendent pour l’enterrement, moi la benjamine. C’était le souhait de son père qu’on attende tous ses enfants avant de l’enterrer parce que lui même était absent aux décès de ses 2 parents. Mais nous sommes musulmans et l’attente, je le sais, aura des limites. Mon époux de loin coordonne avec mon beau frère, mon cher frère de coeur. J’ai un vol pour midi, il est annulé dès notre arrivée à l’aéroport, le prochain vol était pour minuit. Au journal de 20h du Burkina (vive le satellite) on parle du décès de papa et ils lui rendent hommage. C’est donc réel ce que je vis?!
Minuit nous retournons à l’aéroport, le vol est confirmé. Mon beau frère son épouse, mon cher frère de coeur et son épouse m’accompagnent. Je mets ma fille au dos et leur dis au revoir. 1h de retard puis nous embarquons pour Cotonou où un collègue de mon frère nous attend. Nous dormons vers 4h. Ma fille tombe du lit durant notre sommeil agité. Je lui demande ce que je lui ai fait pour qu’elle veuille se faire du mal? La pauvre… je n’aurais pas pu supporter un choc de plus. Réveil à 6h départ pour l’aéroport à 8h. Nous sommes dans l’avion pour ouaga et je gère jusqu’à ce que l’hôtesse nous dise « mesdames et messieurs nous amorçont notre atterrissage sur Ouagadougou… » et là je ne peux plus retenir mes larmes. Je pleure, je tremble, la réalité me rattrape violemment, elle se rapproche, c’est du concret. Je viens enterrer mon papa chéri.
Mes belles soeurs et mes amies sont à l’aéroport. Nous partons vers la maison, à l’approche de cette dernière je vois les tentes, les bus, les voitures, les chaises. C’est chez nous , mon Dieu c’est vraiment vrai. Mes frères et soeurs m’attendent dehors. Nous pleurons mais sans cris, nous seuls savons ce que nous avons enduré et géré ces derniers mois. Je rentre au salon, papa est là et je vois ma mère. Elle était assise et elle priait, son chapelet à la main. Cette femme qui a passé plus de 46 ans de mariage avec lui contre vents et marées était là sereine et elle priait. Je me jette sur ses jambes en pleure. Moi j’avais peur pour elle et elle était inquiète pour moi qui voyageais seule avec ma fille et ma peine. Ah les mères!
Il est bientôt l’heure on demande à tout le monde de nous laisser seul lui dire au revoir en famille. On ouvre le cercueil et je le vois enfin, serein, paisible, cette image me restera toujours. Nous pleurons tous sauf maman et de ma vie je n’oublierai jamais ses propos « pars en paix Touré, tu ne nous dois rien , c’est nous qui te devons tout. Pars tranquille car je n’ai rien à te pardonner mais s’ils te le demandent dis leur que je te pardonne. Pars en paix car ta famille est plus que jamais unie. N’ai pas peur tout ira bien au nom d’Allah….« . Nous étions en pleurs mais stupéfaits face à la force et à la foi de notre mère.
Nous finissons de lui dire au revoir, le cercueil sort pour l’adieu. J’ai l’honneur et la tristesse à la fois de lire l’hommage de la famille rédigé par mes frères et soeurs. Nous l’accompagnons jusqu’à sa dernière demeure au sein de cet établissement scolaire auquel il a consacré plus de 24 ans de sa vie Les écoles Internationales de la Jeunesse/Adama Abdoulaye Touré. La cérémonie fut intense en émotions mais belle, bien organisée et surtout digne, tout à son image! C’est donc vrai, je n’entendrai plus ce rire enjoué, fort et ironique, ses blagues et ses remises à l’ordre…
Le 1er bachelier de son village quand même!
C’est donc vrai mon père est parti, Adama Abdoulaye Touré nous a quitté, mon beau et fière prince Songhrai n’est plus, mon héros, mon inspiration s’en est allé et même le soleil s’est caché un instant pour que nous l’enterrions, il soufflait un petit vent frais qui apaisait quelque peu nos coeurs endoloris en ce dimanche soir. Mais quand je suis seule et que je ferme les yeux, je peux entendre son rire unique, je peux l’entendre siffloter comme quand il me ramenait de l’école primaire, je peux l’entendre me dire « disparaîs » quand j’ai fait une bêtise et ça me fait toujours le même effet…
D’aucuns ont connu le professeur, le militant farouche, l’homme de conviction, l’homme qui inspirait ordre et discipline et parfois même la crainte. Moi étant la dernière j’ai connu le père , le grand père aimant et attentionné et qui faisait toujours passé l’intérêt supérieur de sa famille avant tout dans l’amour, la justesse et la fermeté. J’envierai toujours à mes frères et soeurs le fait que quoi qu’il en soit ils auront passé plus d’années à ses côtés que moi. Mais on ne peut pas tout avoir…
Nous gardons de lui ses enseignements et ses principes qui ont guidé sa vie: l’amour du travail bien fait et des belles choses, l’ordre et la discipline, la politesse, l’abnégation au travail, le courage, l’intégrité, l’humour, la culture, les leçons d’histoire, l’amour des siens et de sa famille restreinte et élargie et surtout la gratitude. Il le répétait sans cesse:
– « Ne soyez jamais ingrats et ayez la victoire modeste« .
– « Battez vous pour vos convictions mais n’humiliez jamais personne« .
– « Travaillez, travaillez car même si vous n’êtes pas super intelligents à force de travailler vous y arriverez toujours« .
Jusqu’à maintenant je n’arrive pas à dire la « mort » de papa, je dis toujours le « départ » de papa. Parce que pour moi il est en moi, en tous ses enfants et en sa descendance entière. Il est parti mais nous le portons dans nos coeurs et il est dans toutes nos prières. Nous lui devons tant… Mais quoi que fut notre père je sais qu’il n’aurait pas été ce qu’il fut sans notre mère. Nous prions pour que Dieu la garde encore longtemps auprès de nous dans le bonheur et la santé. Le deuil en expatriation marque à jamais, il faut avoir les ressources pour vivre son deuil pleinement et pour rebondir après. Et encore moi j’ai eu la chance de le voir une dernière fois et ce n’est pas le cas pour de nombreuses personnes loin de chez elles. A lire Déprimé(e) toi? ça n’arrive pas aux africain(e)s…
Mon père a eu un mélanome, un cancer de la peau qui se manifeste par une tâche noire ou pigmentaire sur une partie du corps, lui il l’avait sur son talon. Connaissant les douleurs atroces infligées par certains cancers, papa n’a pas souffert, il n’a eu aucun effet secondaire après sa seule chimiothérapie et il est parti paisiblement et très dignement entouré de ses enfants. C’est une chance inouïe. Même les médecins étaient étonnés. Un documentaire m’a appris que si on a au plus 10 points de beauté sur le bras droit on est un sujet à haut risque. Dans tous les cas faites attention à chaque parcelle de votre corps et faites des bilans de santé régulièrement. Mieux vaut être paranoïaque ou hypocondriaque que mort.
Si vous avez la chance d’avoir vos parents en vie appelez les! Ne ratez pas une occasion de dire à ce que vous aimez que vous les aimez. Merci d’avoir une pensée et des prières pour notre père, mon héros. 3 ans déjà aujourd’hui… Nous avons crée en son nom avec mes frères et soeurs une fondation en Janvier 2013 pour perpétuer ses oeuvres « Fondation Adama Abdoulaye Touré pour la Science et l’Education ». Nous avons une page Facebook du même nom, le site Web est en construction… Pour tout renseignement ou don: 00226 25412210 et 0022673477300 et 01 BP 53 Ouagadougou 01.
De Fatim pour papa, avec tout mon amour et ma gratitude.